Alors c'est ça bosser ?... Sérieux ?! (Privé)

La main au dessus des yeux, je regardai tranquillement le port s'approcher. Je revenais d'une journée en mer, à pêcher avec les anciens collègues de mon père. Après avoir passé quelques jours, complètement amorphe, dans ma chambre, je m'étais repris en main. Il était grand temps que je fasse quelque chose de ma vie, que j'arrête le vol pour me mettre à une activité plus légale. Maintenant que ma mère n'était plus là et que mon père était encore moins réceptif, je ne devais vraiment pas prendre le risque de me faire arrêter, de partir en prison et de laisser ma seule famille abandonnée. Je ne me le pardonnerais pas.

Je descendis sur le pont alors que le bateau était arrimé, avant de faire passer les poissons que nous avions pêché. La récolte était modeste, mais le bateau n'était pas grand et notre pêche serait suffisante à tous nous faire manger... Au moins pour ce soir. Après avoir fait descendre toutes les caisses, je me redressais pour me masser le dos. Je passais la majorité de ma journée de travail torse nu, sous le soleil. Ma peau était alors plus sombre et j'avais pris quelques muscles qui me permettait de cacher ma maigreur qui ne s'améliorait pas, surtout depuis que je donnais presque toute ma part à mon père.

- Eh, petit ! Va réparer les filets au lieu de te dorer au soleil ! me lança mon chef, un Ondin petit pour son peuple, trapu et à la peau tannée par le soleil.

- Ouais, ouais, j'y vais chef, répondis-je en soupirant, feignant assez mal l’obéissance.

M'asseyant sur le pont, je pris les filets encore humides et entrepris de refaire les noeuds grossièrement pour reboucher les trous faits par des poissons un peu récalcitrants. Super, j'allais puer la poiscaille après ça...

J'étais totalement désœuvrée... ce qui me déprimait totalement, parce que j'en connaissais la cause, et que ce comportement était totalement inédit pour moi. Plus bougonne et râleuse que jamais, j'errais sans but sur la terre ferme, en proie à une irrépressible vague d'ennui, d'inquiétude et de nostalgie - ce sale mollusque, tout était entièrement sa faute !! S'il m'avait laissée tranquille dès le début, je serais certainement déjà très loin de cette foutue île de malheur !! Mais non, il avait fallut qu'il se sente obligé de me coller... et maintenant, toute seule, plus aucune de mes activités antérieures n'avait la même saveur... je n'avais même pas d'idée pour essayer de faire tourner un peu la garde en bourrique. Bras croisés, l'air sombre, les cheveux ramenés en une longue natte sur l'épaule, les plis de ma longue robe bleu paon ondulaient au rythme de ma démarche raide et rapide - je venais malgré moi d'effectuer sans trop y croire un nouveau tour de quartier, sait-on jamais... mais bien évidemment, ce triple crétin était toujours totalement introuvable, et je n'avais pas le courage d'aller affronter directement son père pour lui demander en face.

Cela faisait à peine plus d'une semaine que je l'avais finalement laissé seul chez lui, l'abandonnant à sa douleur contre laquelle je ne pouvais rien... et depuis, plus un signe, pas une nouvelle, et je ne pouvais m'empêcher de m'inquiéter un peu pour lui quand même. La ville n'était pas non plus immense... et pourtant, impossible de lui mettre la main dessus...

Faire des noeuds, refaire des noeuds, plier les filets... Qu'est-ce que je m'ennuyais... Voler c'était bien plus cool ! Et pourtant, je ne pouvais plus dérober quoi que ce soit pour vivre, si je me retrouvais pris, je pouvais dire adieu à la lumière du soleil parce que personne ne se porterait garant pour moi... Et puis mon père ne pourra pas tenir longtemps... Poussant un soupir résigné, je me remis au travail, réparant le plus vite possible pour enfin en finir avec ses réparations.

Après un quart d'heure, je posai le tout dans la cale et remontai sur le pont pour prendre mon sac. Je descendis du bateau, cherchant mon chef des yeux pour avoir ma paye, avant d'entendre un sifflement.

- Hafen ! Tu es sûr d'avoir fini ?

- Ouais chef, tout est réparé et rangé... répondis-je avec désinvolture.

Je faisais bien mon boulot, j'étais poli avec mes collègues, je me permettais de charrier mon patron parce qu'il était un ami de mon père et que je le connaissais depuis longtemps. Il était un peu comme mon oncle... Un oncle qui me réprimandait constamment. Soupirant alors qu'il me sortait sa tirade habituelle sur mon irrespect, je soupirais et regardais ailleurs, attendant qu'il ait fini... Avant de m'arrêter et d'ouvrir de grands yeux. Je la reconnaissais de loin, malgré (ou peut-être grâce à) son air morose. J'étais tellement fixé sur elle que je me pris la bourse dans la tronche, au lieu de la rattraper au vol. L'empochant rapidement, je partis au pas de course sous les moqueries de mon chef.

Bousculant les gens alors que je remontais le port à contre courant, je me frayais un passage jusqu'à Arabyss, un léger sourire aux lèvres. Une fois à son niveau, je la pris par la taille pour la soulever et la faire tourner dans mes bras, tout content. Je la reposai au sol et m'éloignai, me cachant derrière mon sac.

- Arabyss ! Ca me fait plaisir de te voir !

J'allais m'en prendre une, mais... Je dois avouer qu'elle m'avait manqué, depuis le début de la semaine.

Lèvres pincées, bras croisés, je traversais sèchement la foule sans me gêner pour attribuer nombre de coups d'épaule "involontaires" - ils n'avaient qu'à pas être sur mon chemin eux-aussi, je n'avais pas à me fatiguer à essayer de les éviter alors qu'il suffirait qu'ils se poussent. Finalement, aller vers le port n'était pas une si bonne idée que ça... trop de monde, trop de foule, trop de visage innocents qui me donnaient tous envie de casser quelque chose... ou de mettre mon poing dans la gueule de l'un d'entre-eux. Et surtout, la vue de tous ces visages ne faisaient que me rappeler avec plus d'insistance encore celui que je cherchais, mais qui restait définitivement absent... Dépitée, je poursuivis ma route jusqu'aux quais, sans but autre que celui d'éventuellement m'éloigner un peu de la masse grouillante de la populace du port... et tout à coup, je sentis un bras s'enrouler autour de ma taille avant de subitement décoller du sol.

Euuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuh ????!!! Crispée, je me raccrochais à une épaule mince mais musclée, une mèche de cheveux argentée passa dans mon champ de vision... et lorsque mes pieds rencontrèrent enfin de nouveau la terre ferme, il recula de quelques pas avant de se planquer derrière son sac... mais oui, j'aurais de toute façon pu le reconnaitre rien qu'au son de sa voix - c'était bien lui.

- ... Espèce de... SALE MOLLUSQUE !!! hurlais-je en réduisant la distance entre nous de deux grandes enjambées pour enfoncer mon poing dans son sac, m'attirant au passage quelques regards interloqués que j'ignorais. Tu disparais pendant des jours, pas un mot pas un signe RIEN, tu n'étais pas chez toi, j'étais morte d'inquiétude, et tu débarques la fleur au fusil en !!!!...

Prenant brusquement conscience du fait QU'EN PLUS, je venais de lui balancer que je m'étais inquiétée pour lui... tremblante de colère, je fit purement et simplement volte face pour m'éloigner dans la foule vers la plage, enfonçant mes ongles dans mes paumes, lèvres pincées - je vais le TUER !!

Je restais planqué sous mon sac, attendant la sentence... Qui arriva assez vite. Elle ratatina mon sac, imaginant surement que ma tête était à la place. Ah ah ! Gentil sec, il bouge pas surtout... Je l'écoutais avec un petit sourire coupable, sachant qu'en effet, j'étais en tord. Elle s'était occupée de moi, elle ne m'avait pas abandonné et moi... Je ne l'avais pas cherché pour la remercier. Mais c'était parce que j'étais parti travailler ! Je n'ai pas vu le temps passer depuis ! C'est tout... M'apprêtant à m'excuser, je me m'arrêtai en plein élan avant de la regarder par dessus mon sac... Et de me recacher aussitôt. Elle ne fit cependant rien, se rendant surement compte de ce qu'elle venait de dire. Elle... S'était inquiétée ? En l'entendant s'éloigner, je jetais mon sac sur mon épaule et la suivit rapidement pour ne pas la perdre.

Après avoir esquivé quelques passants, je réussis à attraper Arabyss par le poignet pour qu'elle s'arrête un peu.

- Je suis ravi de voir que tu es toujours aussi adorable Bybyss !... Moi aussi ça va !

J'aggravais mon cas, mais après tout, si je plaisantais comme ça c'était parce que j'étais en forme ! Je lui fis un sourire d'excuses, sincère cette fois.

- Désolé de pas avoir donné de nouvelles. Je peux faire quelque chose pour me rattraper ?

J'avais déjà ma petite idée...

Folle de rage, je fendis la foule en distribuant force de coups de coude, m'attirant de nombreux regards noirs et quelques insultes, mais je m'en moquais éperduement - moi qui l'avait tant cherché, moi qui avait tant voulu le retrouver, je ne rêvais maintenant plus que de l'éviscérer sur place... il me fallait de l'air, et vite. NON MAIS J'Y CROIS PAS !!! Môssieur disparait comme ça sans un mot, et je le retrouve tout pimpant, pétant la forme et la connerie !!! Quand je pense au nombre de fois où je l'avais imaginé agonisant dans une ruelle, imbibé d'alcool, se laissant sombrer dans le désespoir le plus total en fuyant toute forme de soutient... ET LUI IL VA TRÈS BIEN !!!! Plus j'y pensais, plus ma colère dépassait mes limites hors contrôle - il n'y avait personne que je haïssais plus que lui sur l'île à cet instant. Sentant soudain sa main s'enrouler autour de mon poignet, il ne dû qu'à la présence de la foule de ne pas se prendre immédiatement une gifle en retour - il y avait encore trop de monde à cette heure-ci de ce côté du port, je ne tenais pas à en gifler un autre à sa place. Le gratifiant d'un regard assassin... mon sang ne fit qu'un tour en entendant le surnom dont il osa m'affubler, et cette fois, je laissais ma main faire son travail - le bras tendu, elle fusa vers sa joue alors que je le massacrais du regard - je n'avais pas envie de jouer du tout.

Alors que je la poussais une fois de plus à bout, usant de tous les stratagèmes possibles, je me pris une gifle forte et, je l'avoue, totalement méritée. Je tournais la tête sur le coup, ne sortant plus un son, mes cheveux cachant ma joue déjà rougie. Je me sentis aussitôt mal de l'avoir cherché, alors qu'elle avait l'air suffisamment en colère contre moi. Quel crétin je faisais... A vouloir trop montrer que j'allais bien, j'avais mis en colère la seule personne qui aurait pu comprendre mon état d'esprit. Je n'osais même pas relever la tête, sachant que je ne trouverais que deux éclairs menaçants en face de moi. Rien que d'y penser et j'avais une boule dans la gorge... J'avais encore l'émotion trop facile.

Les yeux baissés, je l'attirai vers une ruelle perpendiculaire à l'artère qui menait aux quais, nous dégageant ainsi de la masse de gens qui, après nous avoir dévisagés suite à la baffe d'Arabyss, nous foudroyait du regard alors que nous gênions la circulation. Une fois plus au calme, je lâchai le poignet de la Sirène, au risque qu'elle n'attende pas deux secondes pour partir en fulminant. Me plaçant en face d'elle, je relevai enfin la tête, dévoilant un visage beaucoup plus terne cette fois : Secoué par sa gifle qui m'avait remis les idées en place, je me sentais mal de l'avoir énervé autant et je n'avais vraiment plus l'humeur à rire.

- Arabyss... Je suis sincèrement désolé. Je n'aurais pas du te laisser sans nouvelles, après ce que tu as fait pour moi... murmurai-je, mon regard sombre plongé dans le sien.

Je lui devais tout ou presque, elle a été la seule à s'inquiéter de moi et moi... Je fais ce que je sais faire de mieux, c'est à dire le débile.

Sitôt que la gifle fut assénée, je le regrettais avec autant de violence que la colère qui me ravageais précédemment. Il avait sans aucun doute dépassé les bornes... mais, pour une fois, je pris conscience que j'en avais sans doute franchis une moi aussi, et ma propre brutalité me laissa sous le choc au moins autant que lui. Figée, la main encore en l'air, la paume douloureuse, j'avais l'impression de lui avoir arraché un masque, et son visage dissimulé sous ses cheveux ne pouvait me rassurer par un regard contrit ou un sourire d'excuse - mais en même temps, même si ses cheveux avaient été dégagés, je doutais de trouver une telle expression sur ses traits à cet instant. J'avais frappé de toute mes forces... beaucoup trop fort, alors qu'il n'avait littéralement rien fait. Encore sonné par mon propre geste, je le laissais m'entrainer sans rien dire alors que la foule reprenait sa route autour de nous après un instant de blanc - j'avais encore loupé une occasion de faire profil bas...

Me laissant entrainer en silence, j'osais relever les yeux lorsqu'il s'arrêta enfin pour me faire face, et ce que je vis me fit mal - au calme et mon regard libéré du voile de la colère, il paraissait à la fois plus musclé et plus émacié que jamais, la peau nouvellement aussi bronzée que la mienne, mais l'air fatigué, et son regard n'avait pas retrouvé l'étincelle que je lui avait connu. Ma main me lançait douloureusement, et à la vue de sa pommette rougie et légèrement gonflée, je baissais les yeux, coupable. S'il a un coquart, je me le pardonnerais jamais...

- Non je... pardon, je voulais pas te frapper... enfin... pas comme ça... Tu... tu as le droit de faire ce que tu veux... et... de pas me le dire... murmurais-je, essayant de me convaincre moi-même tout en réalisant plus ou moins que je m'enfonçais certainement plus qu'autre chose...

Je soufflais un peu après mes excuses, attendant avec appréhension sa réaction. Peut-être sera-t-elle trop en colère pour me pardonner... Peut-être va-t-elle m'abandonner ici pour partir avec Féline, maintenant que plus rien ne la retenait ici... Pourtant, quant elle baissa les yeux en s'excusant, je ne fus presque pas surpris. Arabyss venait juste de montrer une nouvelle fois qu'elle agissait avant de réfléchir, même si j'avais largement mérité sa baffe... Quoi que, un peu moins fort aurait été préférable ! Rassuré, je souris un peu, avant d'avancer ma main pour effleurer son menton afin qu'elle relève la tête.

- Non, j'aurais du te prévenir, te dire comment j'allais, tu avais raison...

Ma main descendit vers son bras, hésitante, avant que je ne me recule pour m'appuyer contre le mur, fermant les yeux. Je ne voulais pas la brusquer, ou quoi que ce soit... On s'était mutuellement bien pourri l'ambiance, super cool ! Un petit sourire en coin naquit sur mes lèvres alors que je rouvris les yeux.

- On a pas fini de s'excuser si on continue comme ça, tu crois pas ? lui lançai-je, un peu plus taquin.

Après tout, je n'avais que de bonnes nouvelles à lui annoncer, j'avais un travail et je pouvais me faire pardonner en bonne et due forme !

J'étais décidément incapable d'être correcte avec les gens en fait... et Ilmaes en avait fait les frais... encore. Ma main me faisait mal, mais ce n'était qu'un juste retour des choses - sa joue devait lui faire bien plus mal... si seulement je n'étais pas aussi... impulsive... ça m'éviterait de regretter toutes les conneries que je fais... Tête baissée, j'esquissais un mouvement réflexe de recul en l'entendant approcher... croisais brièvement son regard, avant de le baisser de nouveau. Je me sentais vraiment mal... peut-être était-ce la première fois que je regrettais autant un coup porté. Pinçant les lèvres, je ne répondis rien - non... il avait raison, il ne m'appartenait pas, il avait le droit de faire sa vie sans que j'en connaisse tous les détails, mais... je m'étais tellement habituée à sa présence... Un silence tomba, et lorsque je relevais les yeux en l'entendant... une ombre de sourire étira mes lèvres. Il n'avait pas tord... même si je me sentais toujours coupable...

- Oui... répondis-je, gênée. Alors, euh... ça à l'air d'aller mieux ?... tentais-je de reprendre, pas très naturelle mais faisant de mon mieux.

J'aurais pu commencer comme ça au lieu de lui mettre une baffe...

Je m'arrêtai rapidement lorsque je vis Arabyss reculer, lui laissant tout l'espace dont elle avait besoin. Je l’avais bien assez embêté comme ça pour la journée... Et dire que quand je l'avais prise dans mes bras, on aurait dit un couple, pour le coup on était clairement en instance de divorce ! Elle ne soutint pas longtemps mon regard, mais je m'en contentais, me contentant de savoir qu'elle m'avait écouté... Même si son absence de réponse me disait qu'elle ne pensait pas la même chose que moi. Quoi qu'il en soit, c'était passé, je m'étais excusé et elle aussi, donc tout était génial, non ?

Je répondis à son petit sourire, avant de hocher la tête avec plus ou moins de conviction. J'allais mieux quand j'avais matière à penser... Ou plutôt à ne pas penser. Aussi, j'étais bien heureux de travailler, de faire tous ces gestes répétitifs qui m'empêchaient d'avoir un raisonnement assez construit pour me rendre triste.

- Oui, ça va mieux, mais si on parlait de tout ça... Autour d'une table ? C'est moi qui régale, ajoutai-je avec un grand sourire.

Je m'attendais à un refus net, vu qu'elle ne voulait rien obtenir qui venait du vol. Mais là, j'avais gagné cet argent honnêtement !

Je ne savais plus où me mettre, mais il avait en même temps cette étrange faculté de savoir me mettre à l'aise - il n'avait pas l'air de m'en vouloir... peut-être estimait-il qu'il l'avait mérité. C'était pas faux... mais encore une fois, je ne pensais pas frapper si fort... enfin, c'était fait maintenant, c'était trop tard pour le regretter, il aurait fallut y réfléchir avant. En tout cas, même si ce n'était visiblement pas la grande forme, il était quand même dans un meilleur état que celui dans lequel je l'avais laissé... Surprise, je relevais la tête en l'entendant, méfiante - il se fiche encore de moi ??...

- Et en quel honneur ? interrogeais-je, sceptique.

Depuis quand avait-il les moyens de m'inviter ?... Ça ne m'amusait pas de lui rappeler sa condition, mais je n'étais pas encore d'assez bonne humeur pour le gratifier d'un minimum de tact.

Elle semblait se remettre doucement de notre... Echange, dirons-nous, et je lui souris pour la rassurer encore un peu. Après tout, elle n'était pas forcément en tord, je comprenais sa réaction, même si j'avais senti la gifle passer... Enfin, c'était terminé, et je n'en garderais qu'une trace rouge et un égo un peu boiteux. Désireux de changer de sujet, je ne pus m'empêcher de rire en voyant son air suspicieux à mon invitation. Malgré mon air enjoué, le timbre de ma voix n'était plus aussi taquin, j'avais presque l'impression d'avoir garder le ton monocorde avec lequel je m'étais exprimé pendant quelques jours après la disparition de ma mère.

- Il me faut une raison spécifique pour inviter une personne de votre rang, ma Dame ? lui répondis-je avec un clin d'oeil.

Je n'étais pas choqué ou blessé par ce rappel de ma situation. J'étais pauvre, je le savais bien, alors à quoi bon le cacher ? Je me passais une main dans la nuque, jouant un peu avec la chaîne que m'avait offert Arabyss, avant de saisir le pendentif que j'y avais rajouté : la bague de fiançailles de ma mère, un anneau d'or fin qui se sépare en deux pour accueillir une minuscule émeraude au milieu. Mon père avait économisé pendant des semaines pour lui offrir ce bijou. Je ne voulais pas m'en séparer, aussi restait-elle contre mon torse, avec la clé d'Arabyss. Souriant un peu en remettant mon collier en place, je pris ensuite la bourse dans ma poche, pour la montrer à la Sirène.

- En l'honneur de ma première semaine de travail honnête et légal, ça te convient ?

J'étais vraiment heureux de pouvoir lui payer quelque chose sans avoir volé l'argent ou l'objet en question, comme son bracelet par exemple.

Lui rendant malgré moi son sourire, je me maudissais de la tension que j'avais instauré entre nous - pour une fois, les choses ne pouvaient-elles pas être juste... simples ?... Mais lorsqu'il éclata de rire... je sentis cette tension s'évaporer comme enchantement, et je haussais un sourcil toujours suspicieux, mais mon expression se fit plus malicieuse - l'orage était passé. Sa réponse me tira un reniflement faussement hautain, réinstaurant le jeu entre nous... mais je sentais pourtant malgré tout un reste de tristesse parasiter sa joie de vivre naturelle, et je me promis de faire un effort pour essayer de supporter ses conneries futures sans réagir aussi mal que tout à l'heure. Pas sûr que j'y arrive... mais ça ne coûtait rien d'essayer...

Croisant les bras, attendant toujours une réponse valable, son mouvement avec sa chaine me tira un léger sourire inconscient - il me semblait que des siècles s'étaient écoulés depuis que je lui avais donné... et je portais moi-même toujours le bracelet qu'il m'avait offert, que je n'avais pas quitté depuis notre dispute à ce sujet. Le mouvement me fit pourtant remarquer un élément nouveau - glissée à côté de la clef d'argent, une fine bague en or ornée d'une petite pierre verte - sans doute une émeraude, vu son éclat - avait fait son apparition autour de son cou - c'était sans aucun doute une bague ayant appartenu à une femme... à sa mère, certainement, et je me sentis plus coupable que jamais de m'être autant emportée contre lui. Mais la nouvelle suivante me coupa de mes sombres pensées, et j'affichais une expression de profonde surprise - il ?...

- Tu... tu as trouvé du travail ?? Mais c'est génial !! Tu travailles dans quoi ?? demandais-je, oubliant totalement ma culpabilité remplacée par la joie que j'éprouvais à l'idée qu'il ait trouvé un travail honnête.

Pas que le fait qu'il vole me dérange tant que ça... mais c'était quand même sans doute bien mieux pour lui de vivre en travaillant - moins dangereux aussi.

Mon rire eut l'air de la rasséréner et l'ambiance redevint plus légère, enfin. Il valait mieux, je n'avais pas envie de me retrouver dans une atmosphère lourde et pleine de remords, désolation ou quoi que ce soit d'autre; je n'avais pas besoin de ça. J'avais envie de joie de vivre, de répartie, de tout ce qu'elle pouvait m'apporter pour me sentir... Comme avant. Après avoir remis mon collier en plus, je lui montrais la bourse en attendant sa reaction... Qui me tira un sourire amusé.

- C'est drôle, t'es presque plus heureuse que je ne l'ai été ! observai-je en secouant la tête.

J'étais irrécupérable... Lui tendant mon bras pour l'amener de nouveau dans la grande rue pour trouver un endroit pour manger -Je commençais à mourir de faim après avoir travailler toute la journée !-, je ne la quittais pas des yeux.

- Mon père a joué énormément, j'ai pris son ancienne place sur le bateau de pêche où il travaillait avant. Je lance et récupère les filets, puis je les répare une fois rentré au port. Rien de transcendant mais au moins, je gagne un peu d'argent !

Même si, comparé à ce que je pouvais voler, ça n'était pas grand chose... Mais nous n'étions plus que deux à la maison, ça nous suffira amplement.

D'abord sous le coup de la surprise, je ne trouvais rien à lui répondre, fixant mon regard sur la bourse sans comprendre... puis le déclic se fit, et je l'interrogeais immédiatement, un grand sourire aux lèvres. Il avait trouvé du travail !! C'était super ça, la garde n'aurait plus rien à lui reprocher maintenant, il allait vivre honnêtement et tranquillement !! Ok, vu ma situation, ma réaction pouvait paraître un peu excessive... mais moi, je n'avais jamais eu à travailler pour obtenir quoi que ce soit... excepté ma liberté. Mais malgré tout, je l'enviais presque - lui était libre... lui vivait désormais des ses propres revenus, il s'assumait seul, ce que je n'avais pour ainsi dire jamais eu l'occasion de faire... je n'étais même pas certaine d'en être capable, moi qui encore une fois n'avais jamais eu à travailler pour de vrai.

- Soit pas stupide, tu gagne ton propre argent, tu es libre, tu gères ta propre vie, c'est vraiment génial !! répondis-je en me retenant pour ne pas lui coller un coup dans le bras.

J'en avais assez fait pour aujourd'hui à ce niveau là... Passant mon bras dans le sien sans hésiter cette fois, je le laissais m'entrainer où bon lui semblait - je n'en revenais pas... pas étonnant que je n'arrive pas à le trouver en ville s'il travaillait !! J'étais à la fois contente de le retrouver, heureuse d'apprendre qu'il avait trouvé un emploi, et en même temps... cette nouvelle me procurait un étrange sentiment, quelque chose qui me dépassait un peu, mais me faisait chaud au cœur... Je crois bien que j'étais... fière de lui. Fière qu'il ne se soit pas laissé sombrer dans le désespoir... fière de sa force, dont je ne possédais certainement pas le quart.

- C'est vraiment bien, je suis contente pour toi, répondis-je en lui rendant son regard, le sourire aux lèvres. Mais tu devrais garder cet argent pour toi et ton père, repris-je soudain plus sérieusement alors que nous regagnions l'artère principale.

Je me reculai en voyant son amorce de coup, souriant en la voyant me contredire. Elle n'avait pas tord, c'est vrai, mais il n'empêchait que travailler était bien plus fatiguant... Et sacrément monotone !

- Ok, je suis stupide alors !... Mais plus sérieusement, je suis content de pouvoir travailler sans avoir peur de finir enfermé quelque part. Mon père a besoin de moi encore !

Une fois qu'elle eut passé son bras dans le mien, je me mis en route, regardant autour de nous. Alors, où est-ce que j'allais l'emmener ?... Je connaissais pas vraiment de restaurants, après tout j'avais pas l'argent pour y aller, donc je me contentais de manger à la maison ! Mais maintenant que j'avais invité Arabyss, je devais bien trouver... Si on allait à l'Octopus ? Après tout, le client de la dernière fois devait être parti depuis le temps, il n'irait pas se plaindre !... Mais le gérant, il pourrait me reconnaître ! Plongé dans mes réflexions, je secouais la tête pour revenir à la réalité... Et pour écouter Arabyss.

- Hors de question. J'ai mis assez de côté pour que mon père puisse manger ce soir, donc cet argent il va nous payer un repas à tous les deux ! Tu te rappelles, quand tu m'as dit que tu n'accepterais plus rien qui provienne du vol ? Ce que j'ai dans ma main ne provient pas du vol. Donc laisse-moi t'offrir quelque chose. S'il te plait.

Je m'étais arrêté entre temps, me mettant face à elle pour la regarder intensément. Ca me faisait plaisir de pouvoir le faire, de pouvoir offrir quelque chose à Arabyss, alors qu'elle pouvait tout se permettre... Je ne voulais pas qu'elle s'en veuille ou quelque chose comme ça. C'était mon argent, je le gérais comme je voulais !

Il n'avait pas l'air convaincu, mais son sourire me prouva que mes paroles le touchaient quand même, et c'était l'essentiel. Oui oui, tu es stupide et... ah. Visiblement, lui aussi y avait pensé, et bien plus sérieusement que moi. Mais c'était vrai aussi... il ne pouvait continuer à mener indéfiniment cette vie de hors la loi, d'autant plus que plus le temps passait, plus la clémence des gardes s’émoussait, sans parler de leur patience... Ilmaes n'était certainement pas leur plus gros problème, mais il détroussait quand même sans vergogne les marins et touristes de passage, ce qui était mauvais pour la réputation de l'île, il fallait aussi le comprendre... bref, j'étais vraiment contente qu'il ait trouvé un vrai travail. Je n'aurais plus à m'inquiéter qu'il se fasse couper la main à la première occasion désormais...

- Je me rappelle, répondis-je doucement, plongeant mon regard dans le sien.

La détermination que j'y lu me coupa de l'envie d'insister pour qu'il garde son argent, et, soudain un peu troublé par l'intensité de son regard, je détournais le mien et baissais les yeux. C'était étrange... mais du fait de sa carnation légèrement halée, ses iris paraissaient plus clairs et plus métalliques que jamais...

- Bon allez, il faut qu'on te trouve de la glace, marmonnais-je en tirant sur son bras pour qu'on se remette en route.

Je souris un peu quand elle me dit se rappeler m'avoir interdit n'importe quel cadeau volé. Tant mieux, parce que sinon j'aurais pu me vexer ! Mais je sentais que j'avais fait mouche en voyant qu'Arabyss baissait le regard en silence. Souriant légèrement, je fus satisfait de voir qu'elle ne me contredisait pas et me laissait l'inviter. Je ris un peu en l'entendant marmonner, la suivant quand elle me tirait par le bras... Avant de me mettre à rire comme un idiot.

- Tu sais que c'est la deuxième fois qu'on va au restaurant... Et la deuxième fois que j'ai besoin de glace pour soigner un de tes coups ? Je pourrais faire une blague au voisin aussi ? lui demandai-je en riant toujours.

Bon, la dernière fois elle ne m'avait pas vraiment frappé, elle m'avait poussé et je m'étais cogné, mais c'était de sa faute ! Je passais mes doigts sur ma joue, avant de grimacer un peu. Punaise, elle y avait mis toute sa force en plus... Elle est vraiment pas gentille quand même !

- Par contre... Je ne sais pas vraiment où aller pour manger. T'as une idée ?

Faut que je sorte plus souvent !

Lui rendant son regard, je détournais ensuite les yeux pour promener mon regard sur les passant - bon, on bouge ?... s'il voulait qu'on aille manger, ça se ferait pas en restant planté là, et il se laissa faire alors que je le tirais par le bras pour qu'on avance. Son éclat de rire à ma remarque me renfrogna un peu plus, et je pinçais les lèvres, mauvaise - ça va c'est bon, il va arrêter oui ??...

- Imbécile, rétorquais-je simplement sans le regarder.

C'est pas parce qu'il a raison qu'il doit jouer au plus malin !! Il m'énerve, mais il m'énerve... pas étonnant aussi que j'en arrive à le frapper comme ça. Par contre... eh, je suis pas d'accord là !!

- En plus c'est pas vrai ! La dernière fois, tu t'es juste mangé un mur, rétablis-je avec un temps de retard en lui lançant un regard noir.

Je l'avais peut-être poussé, mais c'était pas ma faute s'il était pas doué !! Lui jetant un coup d’œil en coin, je remarquais son geste... et soupirais doucement. La dernière fois, c'était pas ma faute... mais là... je devais reconnaitre que j'avais exagéré. Sa joue commençait doucement à tirer sur le violacé, et ma main me lançait toujours - vraiment... il n'y avait que lui pour arriver à me mettre dans une telle colère...

- On peut retourner à l'Octopus, si ça te tente, proposais-je en haussant les épaules - moi j'aimais bien, et le patron m'aimait bien aussi. Mais à condition de bien te tenir, cette fois !! ajoutais-je à titre préventif.

Je souris à son insulte sans m'en insurger. Pour elle, "Imbécile" était presque une marque d'affection, alors ça me faisait presque plaisir ! Je repris une allure normale, menant Arabyss dans l'artère blindée de monde. Nous étions en fin de journée et les clients se pressaient sur le port pour acheter les victuailles ramenées par les pêcheurs ou les marchands. Nous étions obligés de remonter la rue à contre courant pour pouvoir atteindre les rues de la ville. Regardant la Sirène en souriant quand elle se rattrapa, je secouais vivement la tête.

- Non, tu m'as poussé comme une furie alors que nous étions dans une ruelle suer étroite, c'est tout !

J'aimais bien la taquiner, rien que pour la voir râler. Ainsi... J'avais l'impression que rien n'avait changé. Hochant la tête à sa proposition, je souris légèrement.

- Bon, d'accord, je serais gentil, promis ! Bon, c'est par là non ? demandai-je en regardant vers une rue.

Sans attendre de réponse, je tournais dans ladite rue. Je sais même pas si c'est là en fait !

Bon au moins, il n'insiste pas plus... y'avait intérêt, franchement, après, faut vraiment pas s'étonner que je devienne violente, il me pousse systématiquement à bout, et je suis sûre qu'il le fait exprès et que ça l'amuse en plus !! Accrochée à son bras, je ne relevais même pas cet état de fait qui prouvait cependant à quel point j'avais changé depuis que je le fréquentais - avant, la seule chose qui m'intéressait, c'était moi... avant, je n'aurais jamais laissé quiconque oser me toucher, et surtout pas un mec, pas après ce que m'avait fait subir ce salopard d'Oberoth. Mais il était maintenant oublié, enfouis loin dans les tréfonds de ma mémoire, et je resserrais ma prise sur le bras d'Ilmaes - la foule était dense, les gens ne faisaient pas attention, je ne voulais pas risque que l'on soit séparés bêtement. Quoi que !!

- Mais t'as envie que je te réduise en miettes aujourd'hui ou quoi ??!! braillais-je en lui jetant un regard noir, mon cri noyé dans le brouhaha de la foule environnante.

Il me cherche là, c'est pas possible !! Eeeeeeeeet mais où il va !!

- Non, c'était plus loin... soupirais-je, dépitée et énervée. T'as décidément aucun sens de l'orientation... vient, on va repiquer par là, ça devrait le faire, dis-je en prenant une autre ruelle perpendiculaire.

Alors que je m'amusais à la taquiner, je la sentis resserrer sa prise sur mon bras. Surpris, je baissais le regard, ne m'intéressant plus à la rue ou aux passants pour ne me concentrer que sur Arabyss, alors qu'elle semblait plongée dans ses pensées. Que se passait-il pour qu'elle... Ooooh, mon Dieu elle est repartie. Ca n'aura duré qu'un temps tiens ! Regardant autour de nous alors que la Sirène hurlait, je remarquais quelques regards surpris de la part de certains passants. Non, tout va bien, elle est hystérique, comme d'habitude ! Pris dans mon élan, je tournais dans la ruelle alors que ma compagne soupirait. Bon, c'était pas là visiblement...

Tournant dans la ruelle qu'elle m'indiquait, je souris bêtement.

- Oui, je suis perdu sans toi Arabyss, tu es mon guide ! répliquai-je, alarmé de voir mon état alors que je n'avais pas bu une seule goutte d'alcool.

J'étais sérieusement atteint ouais ! Alors que je continuais d'avancer dans la ruelle, je remarquais qu'un garde s'approchait en face de nous et me crispai, prêt à m'enfuir... Avant de me détendre. J'ai plus rien à me reprocher maintenant, c'est trop bon !

Sentant son regard sur moi, je relevais brièvement les yeux, interrogative, et croisais son regard - beh quoi ?... Mais ses paroles me firent vite oublier son étrange regard, et pour un peu, je lui en aurais bien collé une autre. Il est stupide et puis c'est tout, il avait qu'à tenir sur ses jambes et il se serait pas mangé le mur !! Les joues rosies de colère, je pris une autre direction en soupirant - on va arrêter les frais pour aujourd'hui hein...

- C'est ça, c'est ça, t'as fait comment pour aller du port à chez toi tout seul pendant une semaine, hein ?? rétorquais-je, acide.

Mais en le sentant se crisper, je relevais les yeux pour voir un garde à l'autre bout de la rue... et esquissais l'ombre d'un sourire alors qu'il se détendait imperceptiblement. Le garde en patrouille nous ignora délibérément et nous dépassa sans nous accorder l'ombre d'un regard - après tout, moi j'étais sage depuis un bon moment... et Ilmaes n'avait plus rien à se reprocher, maintenant.

Je ris à sa remarque acide, haussant les épaules.

- C'est parce que je connais ce chemin par coeur, tout simplement !

Alors que je continuais à déconner, je me crispais en voyant le garde... Pour l'observer nous passer à côté sans plus de cérémonie. Euuuh, mais c'est géant ! Limite il aurait pu nous saluer ! Presque choqué de cette constatation, je m'arrêtais un instant, regardant devant moi... Avant d'apercevoir qu'Arabyss me fixait en souriant. Non mais je rêve où elle se moque de moi ?! C'est vraiment pas sympa, moi je m'inquiète et tout, et elle ça la fait rire ! Pour peu, je l'abandonnerais là en annulant mon invitation !... Mais je ne laissais rien paraître, reprenant ma route comme si de rien n'était.

Après être arrivés au bout de la rue, je reconnus enfin l'enseigne de l'auberge... Et son côté un peu délabré. Mais la nourriture était bonne, c'était l'essentiel ! M'avançant jusqu'à la porte, je l'ouvris en m'effaçant pour laisser passer Arabyss.

- Après toi !

Moi et la galanterie on est copains !

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Alors c'est ça bosser ?... Sérieux ?! (Privé)

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