Alors c'est ça bosser ?... Sérieux ?! (Privé)

Amusée, je haussais les épaules en essayant de masquer mon sourire à sa réponse - il avait vraiment réponse à tout... cet espèce de mollusque. Radoucie, je remarquais son manège avec le garde, et résistais à la tentation de jeter un coup d’œil derrière nous lorsqu'il nous eu dépassés, et lui offrit un grand sourire moqueur lorsqu'il posa les yeux sur moi - ça lui apprendra à être chiant !! Il ne répliqua pas cette fois, et, satisfaite, je le laissais m'entrainer jusqu'à l'Octopus. Le quartier était toujours aussi mal famé, peu peuplé, étroit et sale, sans parler de la devanture de la taverne qui aurait mérité plus qu'un bon coup de peinture, mais je savais qu'à l'intérieur, la cuisine était saine... et absolument incomparable.

- Merci, répondis-je, amusée, avant d'entrer.

Comme d'habitude en journée, l'auberge était presque vide, à l'exception d'un unique client client encapuchonné dans un coin auquel nous ne prêtâmes aucune attention. Adressant un signe au serveur, il me répondit d'un hochement de tête et disparut à l'arrière pendant que j'entrainais Ilmaes à ma table habituelle... celle où nous avions aussi pris place la dernière fois.

- Tu... enfin... ton père va bien ?... osais-je finalement demander, hésitante, triturant mes ongles sans le regarder directement de peur de lui avoir sans doute posé une mauvaise question.

Je remarquai son sourire moqueur et me contentais de relever la tête, soupirant pour ne pas râler. Mais quelle sale gosse ! Je m'inquiète parce qu'un garde passe à côté de moi et elle ça la fait rire ! Elle risquait de se faire arrêter par les gardes elle aussi, avec les conneries qu'elle faisait, mais elle avait des parents qui pouvaient payer la caution ! D'ailleurs j'étais presque persuadé qu'ils ne la mettraient pas en prison. Non, ils se contenteraient d'un sermon, puis retour à l'envoyeur ! Alors que moi... J'étais bon pour les fers quoi ! Donc de tels réflexes, ça se perd pas comme ça...

Une fois arrivés au restaurant, toujours dans le même état, je laissais passer Arabyss pour ensuite entrer à mon tour, regardant autour de moi. Toujours aussi lugubre, rien n'avait changé... Suivant la Sirène sans me poser plus de questions, je m'assis en face d'elle quand elle eut choisi sa place. Regardant autour de nous, je remarquais seulement un homme un peu mystérieux cachée sous sa cape. Lugubre j'vous dit ! Je me retournai brusquement à sa question.

- Hein ? Ah ! Beh il est comme d'hab', il cause plus du tout par contre, et je dois le secouer pour qu'il mange. Il fait les choses par automatisme maintenant, lui dis-je de la voix la plus neutre possible.

J'aurais voulu faire pareil, me laisser porter sans me rendre compte que le monde avançait toujours. Mais mon père avait un luxe que je n'avais pas, celui d'avoir assez vécu pour se permettre de rêver de la sorte. J'étais encore jeune, je devais avancer, même si j'en souffrais. Il fallait que j'aille de l'avant pour vivre ma vie, faire subsister mon père, honorer la mémoire de ma mère. J'arrêtais de penser à ce genre de choses quand le serveur revint avec de l'eau. Levant la tête avec un petit sourire, je me plongeais dans l'étude approfondie de la carte. Alors, quel était le plat le moins cher...

Ne remarquant pas qu'il se renfrognait, je nous installait à ma table après avoir fait signe au serveur, et un silence tomba suite à ma question - bon... j'ai encore perdu une occasion de la fermer on dirait... relevant les yeux lorsqu'il prit finalement la parole, je n'étais peut-être pas une grande finaude en relations humaines et en sentiment, mais je notais clairement ses efforts pour paraître le plus neutre possible, et je baissais les yeux, penaude - un jour, peut-être, je réfléchirais avant de parler...

- D'accord, répondis-je tout bas.

Que pouvais-je répondre d'autre ?... Je ne connaissais rien à sa... à leur douleur, et lorsque le serveur apporta l'eau et les cartes rapiécées je consultais les plats sans les voir... puis, hésitante, je tendis finalement la main pour prendre doucement la sienne. Elle était chaude, et sa peau était plus douce que ce à quoi je m'étais attendue, et je gardais mon regard obstinément fixé sur la carte - bon... qu'est-ce que je vais prendre ?...

Alors que je lui exposais clairement et sans aucune émotion l'état de mon père, je vis Arabyss baisser les yeux, presque... Penaude ? Je ne comprenais pas vraiment sa réaction, après tout je n'étais pas vexé ou quoi que ce soit... Certes, voir mon père se morfondre un peu plus et ne presque pas m'adresser la parole n'était pas très joyeux, mais je m'y faisais... Je ne pouvais pas y faire grand chose de toute manière, il était comme ça de nature, mais avec la perte de ma mère c'était pire. Arrêtant d'y penser pour le moment, je pris la carte qu'on me tendit, la décortiquant pour trouver comment dépenser le moins. Je ne savais pas ce qu'allait prendre ma compagne donc, dans le doute, je devais prendre le plat le moins cher ! Alors... Ca non, ça...

Alors que je réfléchissais intensément, je sentis qu'on me prenait la main. Surpris, je redressais discrètement la tête pour voir Arabyss qui, affectant de regarder le menu avec un air distant, avait glissé sa main dans la mienne. Ses doigts fins étaient légèrement plus frais que les miens, mais tellement graciles... On voyait au premier coup d'oeil qu'elle n'a jamais eu besoin de travailler de ses mains pour vivre, alors que les miennes récoltaient déjà de la corne, à force de me les abimer jusqu'au sang dans les filets... Absorbé par ce spectacle pendant quelques instants, je me repris et effleurai doucement sa main de mon pouce pour la remercier. Son geste me touchait bien plus que tous les mots que j'ai pu entendre depuis le départ de ma mère. Reposant la carte, je choisis de prendre une assiette toute bête de crevettes grillées avec des légumes, laissant Arabyss faire son choix ensuite.

- Et toi, qu'est-ce que tu as à raconter ? lui demandai-je en retrouvant mon sourire.

Je ne voulais pas déprimer non plus quand même !

Crispée, j'affectais cependant l'indifférence alors que je serrais doucement la main d'Ilmaes dans la mienne - il a pas intérêt à faire le moindre commentaire... sinon, cette fois, je m'en vais. Fixant la carte avec obstination, je constatais que le plat du jour était ce qu'il y avait de moins cher - il avait insisté de telle sorte que je ne pouvais refuser son invitation, mais hors de question que je lui soutire le moindre centime de trop - il avait travaillé pour avoir cet argent... alors que moi, il suffisait de voir ma collection de perles pour comprendre que je n'avais jamais eu ce genre de problème. Me détendant un peu alors qu'à mon grand soulagement, il n'esquissa pas un geste à mon contact autre qu'une légère caresse sur le dos de ma main, je n'osais pas bouger, mais même ainsi je pouvais sentir les sillons creusés sur sa peau par les filets - mais curieusement, ce n'était pas si désagréable que ça...

- Pas grand chose, répondis-je en reposant la carte, m'accoudant à la table pour poser mon menton dans ma main libre. Ah si, il parait que j'ai un avenir dans la prostitution de luxe, ajoutais-je sans trop réfléchir, pensive.

Ma rencontre avec Deïmos Loth'hil, le Maître Marchand, m'avait laissée relativement perplexe... mais il avait eu le mérite de me distraire de ma recherche avec assez de finesse, je devais bien l'avouer. Mais ça, c'était parce qu'il n'était pas noble de pure souche, je le savais... comme quoi au final, on en revient toujours au même. Il n'y a que les gens du peuples qui ne se sont pas laissé pourrir jusqu'à la moelle par la prétendue supériorité des gens des profondeurs.

Une fois nos plats commandés, je nous servis de l'eau de ma main libre. Je n'avais vraiment envie de lâcher Arabyss pour le moment, elle ne semblait pas gênée par ce contact et j'en avais besoin. Aussi, attendant sa réponse, je pris mon verre pour en boire un peu... Avant de m'étouffer comme un crétin. Je lâchai sa main directement pour me taper un peu la poitrine, histoire que je ne meurs pas comme ça quand même, avant de fixer la Sirène sans comprendre.

- Pardon ?... Non mais pourquoi ça ? Non mais tu vas pas faire ça hein ?! répondis-je précipitamment.

En plus elle aurait du succès quoi !... Non mais qu'est-ce que je raconte ?! N'importe quoi !... Enfin non, elle est magnifique hein, mais elle va pas faire dans la prostitution quand même ! C'est n'importe quoi ! Je m'embrouille à cause d'elle ! Reprenant une respiration normale, j'affectais de prendre un air détaché mais trop tard, j'étais fiché.

- Et... Comment t'es venue cette idée soudaine ? demandai-je avec le ton le plus neutre possible.

Vas-y, elle pense à se vendre à des hommes... Hors de question qu'ils la touchent !... Ce serait super mal ! Et allez pas croire que je suis jaloux, c'est... C'est totalement faux !

Voyant que nous avions posé nos cartes, le serveur revint rapidement et nous commandâmes nos plats à la suite de quoi je repris ma discussion avec Ilmaes. Un peu distraite, soulagée qu'il ne se moque pas de moi et repensant à ma rencontre avec le Maitre Marchand, je regardais Ilmaes avec de grand yeux à sa réaction plutôt... violente face à ma déclaration. Quoi, il croit quand même pas que je suis sérieuse ??! D'abord interdite, constatant que lui était bel et bien sérieux... un petit sourire mesquin étira mes lèvres, et puisqu'il avait lâché ma main, je la ramenais avec l'autre, entrelaçant mes doigts pour y poser mon menton.

- Je ne sais pas... celui qui voulait m'employer avait plutôt bien présenté les choses, m'amusais-je à répondre, juste pour le plaisir de le voir s'enfoncer.

Mais pour la peine, il avait l'air outré, presque... jaloux... et pour une raison que j'ignorais, j'adorais littéralement le voir ainsi. Cette étincelle de panique dans son regard était tout simplement jouissive... et au moins, quelqu'un sur l'île se préoccupait un peu de ce que je pouvais bien faire ou non de mes mœurs, parce que sous la mer, et même sur terre... j'aurais pu faire n'importe quoi que ça n'aurait intéressé personne de toute façon. A une exception près visiblement...

- J'ai croisé le premier siège de la guilde Marchante en début de semaine. Il venait de rentrer pour une courte période sur l'île à la recherche de recrues pour sa maison close sur le Continent... et il a songé que j'aurais pu faire une candidate idéale, continuais-je sur ma lancée, ravie d'avoir trouvé un nouveau jeu.

... Je rêve ou... Ou ça l'amuse ? C'est décidé, elle veut vraiment que j'ai une attaque. Alors qu'elle me sortait le parfait numéro de la chercheuse d'embrouilles, je m'efforçai à rester calme, lissant ma serviette sur mes genoux pour ne pas réagir trop... Brutalement. Elle veut me faire péter une pile, je vois pas d'autres solutions... Toussotant un peu, je relevais un peu le regard pour la fixer, alors qu'elle me souriait avec l'air de s'amuser comme une folle. Je vais t'en foutre moi...

- Super avenir quand même hein... Au moins on peut pas nier son bon goût à ce mec... murmurai-je presque à moi-même.

... NON MAIS TA GUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUU*UUUUULE ! Voilà que je dis des trucs à voix haute ! Je garde ce genre de choses pour moi normalement ! Ecoutant la suite avec un calme feint alors que je n'avais qu'une envie : casse la tronche de ce maître Marchand de mes deux, je me redressais quand les plats arrivèrent, piquant un bout de crevette en me rendent compte que j'avais un peu l’appétit coupé. Relevant le regard, je regard Arabyss franchement, mes traits toujours neutres. Mais mon regard trahissait mes émotions : la jalousie, la surprise et l'hésitation. Je devrais la croire... Ou pas ?

- Et tu as accepté alors ? Toi qui voulais voir du pays, c'est l'occasion...

Beh ouais, je lui ai demandé de rester quand j'étais mal, mais je ne pouvais pas la retenir indéfiniment... Maintenant que j'allais mieux, ou en tout cas que j'en avais l'air, elle pouvait s'en aller sans regret... Je n'avais aucune raison de lui demander de ne pas partir alors que c'était la seule chose que j'avais envie de lui demander.

Il avait l'air à deux doigts de l'implosion... et plus il s'énervait, plus je m'amusait, c'était absolument jouissif de le voir s'étrangler à demi. Il avait l'air aussi gêné qu'énervé... et plutôt que m'en inquiéter ou même de le ménager, j'enfonçais volontairement le clou... et esquissait un sourire victorieux à sa remarque - ah !! S'il croit que je l'ai pas entendu !! Sa réflexion me fit curieusement autant plaisir qu'elle ne me gêna un peu... mais j'ignorais ce sentiment pour me concentrer sur l'instant présent, ravie de le voir se contenir alors qu'il était visiblement fort mécontent de mes insinuations. Nos plats arrivèrent dans la foulée, et je me redressais en lui coulant un regard amusé - bah alors, il a donné sa langue au poisson-chat ?... Mais en croisant son regard... je redevins immédiatement sérieuse, me renfermant un peu malgré moi. Si on peut plus rigoler... et puis traite moi de pute, je dirais rien aussi.

- Imbécile, sifflais-je simplement, le regard noir, piquant rageusement ma fourchette dans un petit calmar en sauce.

Quand est-ce que les choses avaient pu déraper à ce point ??... Je n'aurais jamais cru qu'il puisse le prendre si mal... et que je puisse me sentir si vexée de sa réaction...

Je remarquai enfin quelque chose de particulièrement agaçant : plus je tombais des nues en l'écoutant, plus ça avait l'air de l'amuser... Comme si mon inquiétude était une fausse blague. Non mais si elle ça l'amuse je vais arrêter de m'inquiéter hein ! Comme ça elle restera dans son truc de prostitution, en essayant de rendre sa vie intéressante parce que, vous comprenez, le luxe c'est tellement barbant, et puis moi je vais aller trimer sur le bateau sans plus me soucier de rien... Commençant à me renfrogner, je laisser les plats arriver, espérant qu'ils créeraient une distraction, mais c'était peine perdue, je devais en avoir le coeur net. Ainsi, alors que j'étais bien sérieux, elle le redevint aussi et... HEIN ?! Mais elle se fiche de qui là ? C'est moi qui devrait faire la gueule !

- Euh... J'ai dit quoi pour que tu râle ?...

Non parce que là j'ai du mal à la suivre... Elle me fait tourner en bourrique et quand je marche, ça l'énerve... Va falloir revoir la définition de "lunatique" et mettre "Arabyss" à la place, c'est officiel ! Mangeant ma crevette en silence, je relevais le regard... Avant de me pencher pour essayer de trouver son regard.

- T'es vexée ? lui demandai-je, me doutant de sa réponse.

Non mais c'est nul de faire la tête pour ça quoi...

Subitement fortement contrariée, je me vengeais sur mon assiette sans plus m'occuper d'Ilmaes - j'ignorais ce qui m'agaçait le plus... la bêtise de mon jeu ou le fait qu'il ait mis les deux pieds dans le plat. Sérieusement, moi, prostituée ??!!! Plutôt crever oui, et plutôt deux fois qu'une !!! J'arrivais pas à croire qu'il ait pu m'imaginer comme ça, dans une telle... situation !!! Et puis ça voulait dire quoi d'abord, "son bon goût à ce mec", hein ??? Que je ferais une bonne pute, c'est ça ??! C'était un domaine qu'il connaissait aussi bien que ça ??!!!!!... Décidément, je me demandais bien pourquoi j'avais tant perdu mon temps à chercher ce mec, alors qu'il m’insupportai au plus au point. Je suis juste maso si ça se trouve !!

Le fusillant du regard à sa question, je détournais la tête, mangeant en silence - franchement... si ça réaction première avait été amusante... je trouvais franchement dégradant qu'il ait pu me croire à ce point. Étais-je si... superficielle ?... Malgré mon caractère, à l'extérieur, j'avais peut-être juste l'air d'une fille facile... peut-être qu'aux yeux des hommes, je ne valais pas plus qu'une vulgaire prostituée... même aux siens... Ça pourrait expliquer beaucoup de choses... Sentant mes yeux picoter de larmes, je l'ignorais consciencieusement, le regard soigneusement détourné - je le déteste...

Ma question mourut alors qu'Arabyss me fusillait du regard. Punaiiiise, ce que je viens de me prendre dans la tronche... Une nouvelle fois j'ai rien compris à la vie moi. Je l'invite, je suis inquiet pour elle et au final... Au final ELLE fait la gueule, ELLE est outrée et... ELLE mange à mes frais !... Bon, la dernière affirmation ne valait pas grand chose vu que c'était mon idée, je ne le regrettais pas... Je regrettais juste que le repas se passe dans une ambiance aussi tendue...

Je mangeai encore un peu, la regardant de temps à autre, sans savoir quoi faire. Si je cherchais à lui parler, j'allais me faire renvoyer balader à coup sûr, et si je ne faisais rien... J'étais presque sûr qu'elle était capable de me le reprocher. Mais elle est agaçante à la fin ! A chaque fois je me sens obligé de m'écraser pour qu'elle arrête de bouder ! Beh cette fois nan, je dis rien ! C'est elle qui va ouvrir la bouche en premier, na ! Je repris mon assiette et mangeai comme si j'avais travaillé toute la journée -Ah mais attends... C'est ce que j'ai fait !-, jetant quelques regards à Arabyss par moments... Jusqu'à ce que j'entende un nouveau client, arrivé juste après nous, rire. J'interceptais les mots "dispute", "couple" et "consoler"... Le gros crétin ouais. Je me redressai et le fusillai du regard, prêt à me lever pour lui en foutre une. Non mais c'est quoi ces manières.

Vexée et blessée, le silence s'installa et il ne fit rien pour le rompre - me dit pas qu'en plus il fait la tronche !! Sérieusement, il me traite de pute, et il s'étonne que je le prenne mal !!!! Ravalant mes larmes, je mangeais sans grand entrain, l'appétit un peu coupé - voilà l'ambiance... mais l'avantage de ce silence fut qu'il me laissa le temps de me reprendre un peu, même si je restais très blessée - après tout, il m'avait déjà balancé à la figure que je n'étais, en gros, qu'une sale gamine égoïste... pour qu'il le pense jusqu'à le dire, ça ne pouvait être totalement faux... et de ce fait, peut-être que je pouvais paraître assez cupide pour commercer jusqu'au moindre bout de chair. Je me sentis soudain bien nue dans ma robe bleu paon, sensation que je n'avais que très très rarement pu éprouver - et tout était sa faute... lui jetant de bref et discrets coup d’œil de temps en temps, je constatais que lui mangeait avec un appétit vorace - pas étonnant, il a que la peau sur les os sans déc'...

Entendant rire dans notre dos, je tendis machinalement l'oreille - une poignée de client était rentrée depuis notre arrivée, une tripotée de malfrats attendant au frais la nuit pour faire leur basse besogne, dont un duo de molosses tatoués à l'air patibulaire. Mon sang ne fit qu'un tour lorsque j'interceptais leurs commentaires gras sur Ilmaes et moi - je vais leur apprendre à se mêler de ce qui les regarde pas... Prenant la carafe de fer-blanc pleine d'eau, je me levais sans un regard pour mon compagnon, me dirigeant vers nos voisins qui cessèrent de rire pour me regarder approcher, une étincelle lubrique dans leurs yeux déjà embrumés d'alcool - laissant mes lèvres s'étirer en un sourire faussement charmeur et surtout de mauvais augure pour eux, je m'approchais d'un bon pas, et avant que quiconque ne réagisse, vidais d'une traite sans hésiter la carafe sur la tête du plus baraqué des deux. Finalement, en situation de crise, je me retrouvais à faire la seule chose que je sache réellement faire au mieux : foutre la merde.

J'en étais déjà arrivé à la moitié de mon assiette quand je remarquais la discussion de la table à côté. Non mais c'est pas bientôt fini ? Ils sont dégueu ces mecs quand même, ça va pas bien de dire ce genre de choses ?! Presque outré, je cherchais quoi faire pour me venger, quand je vis Arabyss se lever avec la carafe. Nan, elle va pas... Je la suivis des yeux, délaissant mon assiette, pour voir avec incrédulité la totalité de la carafe se vider sur le type le plus musclé que j'ai jamais vu. MAIS ELLE A PETE UN BOULON ?!

Restant, comme le reste de la troupe, complètement immobile, le client se leva enfin, rouge de colère. Il allait se venger et pas de la façon la plus douce... Et m... J'engloutis le reste de mon assiette pour ne pas gâcher, avant de me lever et d'arriver à la hauteur d'Arabyss alors que le mec allait ouvrir la bouche.

- On est désolés, on s'en va tout de suite, le devançai-je en prenant Arabyss par le bras pour l'amener dehors.

Mais le type fut plus rapide et immobilisa la Sirène en l'attrapant par l'autre bras.

- Pas si vite. Elle va pas s'en tirer comme ça cette espèce de...

Sa phrase se finit dans un cri de douleur alors que je venais de lui mettre le plus puissant coup de tête possible dans le nez.

- J'ai dit : On s'en va tout de suite, répetai-je, la voix plus froide.

Je profitais que la douleur ait fait lâché le brigand pour courir vers la sortie, entraînant Arabyss avec moi.

Et voilà, une bonne douche froide pour se calmer, c'est l'idéal. Et je me moquais qu'il fasse dix fois mon poids, je me moquais qu'il me dépasse de cinquante bons centimètres, et je me moquais qu'il puisse certainement me briser la nuque d'un seul coup de poing - je voulais me venger sur quelqu'un, et puisqu'Ilmaes avait déjà eu sa dose, eh bien lui là était le candidat idéal - après tout, il l'avait bien cherché... Un lourd silence tomba dans la salle déjà peu bruyante suite à mon acte de pure provocation, et même le compagnon du type que je venais de tremper resta interdit une bonne poignée de secondes - le regard mauvais, je toisais le type dégoulinant sans la moindre parcelle d'inquiétude ou de remord - tout ce que je voyais à l'instant, c'était que je l'avais bien calmé.

Puis enfin son visage vira au rouge violacé, son regard étincela de rage, et il se leva, ou plutôt se déplia lentement, m'obligeant à reculer d'un pas alors que j'avais toujours la carafe à présent vide dans la main. Comme prévu, il me dépassait de deux bonnes têtes alors que je n'étais pas particulièrement petite, voir plutôt grande - serrant mon poing sur la anse de la carafe, j'étais prête à la lui balancer à la tronche... quand Ilmaes, que j'avais presque faillit oublier, se décida à intervenir.

- Eh mais !!...

Prisonnière de son étreinte, je tentais de me dégager... mais une main bien moins douce que la sienne se referma alors sur mon autre bras - aie, mais il me fait mal le con !! Prise entre les deux, je grimaçais alors que l'autre colosse me soufflait son haleine avinée en plein visage, et je m'apprêtais à lui renvoyer la carafe en pleine tête de toute mes forces quand... j'ouvris de grands yeux ronds alors qu'Ilmaes réduisait au silence le sale type. Sous le choc, il relâcha mon bras, et je me retrouvais sans comprendre à me faire entrainer dehors sans songer cette fois à résister, et je couru aussi vite que possible dans les ruelles jusqu'à ce qu'Ilmaes s'arrête enfin - un peu choquée, la carafe toujours en main, je le regardais avec de grands yeux, hors d'haleine - pourquoi il avait fait ça ?...

Après lui avoir cassé le nez au minimum et m'être presque assommé, je ne tardais pas plus et m'enfuis en courant, entraînant Arabyss avec moi. Je sortis en furie de l'auberge et m'engouffrai dans une rue quelconque, cherchant à mettre le maximum de distance entre nous et les brigands derrière qui auraient pu nous suivre. Je ne savais pas si ça valait la peine de fuir ainsi... Mais je ne me posais pas franchement la question.

Après avoir tourné pendant un bout de temps, serrant toujours le poignet d'Arabyss, je m'arrêtais enfin pour m'effondrer sur un mur. Reprenant lentement mon souffle, je fixais la Sirène qui me regardait elle aussi, presque choquée. Beh quoi ?... Je restai à la fixer ainsi sans rien dire, avant de me mettre à rire, soulagé.

- Bon, beh on peut faire une croix sur ce resto dorénavant... lui dis-je en me passant une main sur le front.

Je m'étais fait mal en plus... Secouant légèrement la tête, je choisis de ne rien dire sur la connerie de son geste. Elle aurait pu se faire tuer d'un geste de la main et, même si j'avais aussi eu envie qu'elle de régler son compte à ce type, je n'avais pas eu envie de m'y frotter.

-... Et en plus j'ai même pas payé ! m'exclamai-je en sentant ma bourse pleine dans ma poche.

C'est malin ça... Manquerait plus qu'elle se mette à me hurler dessus et la journée est complète je crois bien...

Hors d'haleine, la poitrine douloureuse, je me pliais en deux pour essayer de retrouver un peu mes esprits - la vache... pas étonnant qu'il se soit jamais fait chopper jusque là. Il courrait à une vitesse... s'il m'avait pas littéralement trainée par le poignet, j'aurais jamais pu suivre. Ça me rappela, à l'une de nos premières rencontres, la courses que nous avions fait - même en partant en avance, il m'avait battue à plate couture. Je ne savais pas où il nous avait emmené, mais visiblement, personne n'avait pu nous suivre - lâchant enfin la carafe, qui tomba en tintant contre le sol, et reculais sur le mur opposé de la ruelle contre lequel je me laissais glisser jusqu'au sol. Croisant son regard, il me regarda un instant... et j'ouvris de plus grands yeux encore alors qu'il se mettait à rire.

- ... Bah... d'ici une semaine, ce sera oublié... rétorquais-je, la voix un peu cassée.

Vu la faune qui la fréquentait, cette auberge avait dû en voir d'autre, et de bien plus belles... La gorge douloureuse, les poumon en feu, je restais tranquille, rejetant la tête en arrière pour essayer de réguler les battements de mon cœur. Rouvrant finalement les yeux, mon regard tomba de nouveau sur Ilmaes, et je le fixais, mortellement sérieuse.

- Comment as-tu pu croire une seconde que j'étais sérieuse. Le rôle de la pute m'irait si bien que ça ? demandais-je froidement.

Je haussais les épaules à sa réponse, préférant me concentrer pour récupérer une respiration normale. J'étais hors d'haleine à force d'avoir couru comme un damné, tirant Arabyss derrière moi, mais la seule idée que ce type nous retrouve m'avait motivé au point que j'en avais oublié mes jambes douloureuses et mes cheveux qui s'assombrissaient. Il me faut de l'eau maintenant... J'étais complètement sec. Mais j'arrêtai bien vite mes réflexions face à la question froide d'Arabyss. La regardant, je me décollai du mur pour m'accroupir face à elle, ne lâchant pas son regard.

- Pour un oeil non averti, toutes les Sirènes, voire même la Reine, si tu me permets le blasphème, pourraient postuler pour ce boulot... Et l'obtenir haut la main. Mais toi, tu mettrais en faillite une maison de passe en moins de temps pour le dire, avec ton sale caractère... Et ne te méprends pas, c'est un compliment ! ajoutai-je avec un petit sourire.

Je m'étirai un peu, avant de me relever et de lui tendre la main. On avait tous les deux besoin de piquer une tête.

- Je ne savais pas si je devais te croire ou non. Avoue que tu es quand même imprévisible !

J'espère qu'après ça elle ne m'en voudra pas...

La gorge en feu, je remarquais pourtant sa chevelure qui virait au gris anthracite de plus en plus sombre - il faudrait qu'on retourne sur la plage... un coup d’œil à ma propre chevelure me fit constater qu'un bain ne serait pas mauvais pour moi non plus. Mais chaque chose en son temps, et je le fixais avec intensité à sa question - suivant ce qu'il allait répondre, nos chemins se poursuivraient ensemble... ou non. Soutenant son regard, je notais du même coup sa paupière qui noircissait du côté où je l'avais frappé - bon beh... il avait un œil au beur noir... j'avais oublié de demander de la glace, et de toute façon c'était trop tard pour y penser. Fronçant les sourcils en l'entendant, je restais silencieuse quelques secondes - un compliment hein ?...

J'étais donc imprévisible au point qu'il me croie capable de me prostituer. Génial... j'imagine que je ne pouvais m'en prendre qu'à moi-même... mais ce n'était pas une réalité spécialement agréable à entendre... et plutôt difficile à avaler. Acceptant sa main, je restais cependant silencieuse, et me mis en marche sans commentaire supplémentaire - j'en avais assez entendu comme ça... Bon, on est où ?...

Malgré mes efforts pour ne pas dire de bêtises, je remarquais à son silence et son air renfrogné que ça n'avait pas vraiment marché... Elle semblait m'en vouloir et ne desserra pas les dents alors qu'elle se remit en marche sans m'accorder plus d'intérêt. Bon... Elle avait l'air en rogne pour les six prochains mois, c'est super cool... En temps normal, j'aurais simplement haussé les épaules et laissé les choses suivre son cours, mais pour une raison inconnue, je n'avais pas envie de laisser Arabyss m'en vouloir indéfiniment. La voir m'ignorer de la sorte m'insupportait au plus haut point et je ressentais le besoin de faire l'abruti... Au moins pour qu'elle puisse me hurler dessus.

Perdu dans mes réflexions, j'avais perdu du terrain et accélérai un peu pour me retrouver à la hauteur de la Sirène. Je m'étais à peu près repéré et savais dans quelle direction aller pour rejoindre l'eau. Me penchant un peu vers elle, je lui souris.

- Le dernier au port est une limace de mer !

Je me mis à courir sur ces mots, usant mes dernières forces pour courir jusqu'au port. J'espère seulement qu'elle va jouer, parce que sinon j'ai l'air fin quoi... Mais j'avais repris ses mots exacts, peut-être que ça jouera !

Le nez en l'air, je repérais grosso merdo notre position dans la ville - entre l'architecture plutôt simpliste, exclusivement de calcaire blanc, et l'étroitesse des ruelles, je jugeais que nous devions être à l’extrémité ouest de la ville-basse, et je commençais à descendre vers la direction supposée de la mer. J'avais toujours eu un excellent sens de l'orientation... Silencieuse, j'entendis donc Ilmaes se mettre en route dans mon dos, jusqu'à me rattraper, et lorsque je tournais la tête je réprimais un mouvement de recul - je n'avais pas remarqué qu'il était si près... QUOI ??!!

Interdite une seconde... je me repris rapidement et lui emboitais le pas en piquant le sprint du siècle - maiiiiiiiiiiiiiiiis c'est pas vrai, il va encore gagner, et cette fois en plus c'est lui qui triche !!! Courant de toutes mes forces, je rassemblais rapidement les longs plis de ma robe dans une main - mais j'avais beau courir de toutes mes forces, je ne le distançais pas... mais ne parvenais pourtant pas à le rattraper. Et pourtant, alors que j'avais pourtant renoncé à gagner... je remarquais que je gagnais peu à peu du terrain - il ralentissait. Décidant de profiter de cette opportunité, je redoublais d'ardeur... et nous entrâmes finalement à toute vapeur comme deux bon idiots en même temps dans la mer, après avoir fendu la plage de toutes nos forces. Ralentie par l'eau, éclaboussée de partout, je me laissais finalement couler pour m'immerger totalement, avalant avec délice une longue gorgée d'eau tiède et salée dès que mes branchies s'ouvrirent, avant de me tourner vers Ilmaes, de nouveau hors d'haleine mais rafraichie par l'eau claire.

- Ex æquo, dis-je avec un grand sourire - ah ah !!

Alors que je venais de me mettre à courir, j'eus presque peur de me retrouver comme un idiot, à faire la course avec moi-même. Mais j'entendis presque aussi Arabyss se mettre à courir à son tour, me suivant sans me rattraper. Ah ah ! Si elle croit qu'elle va gagner la cocotte, elle rêve ! Je suis le sprinteur le plus rapide de Satanael, je m'étais entraîné avec acharnement pour échapper aux gardes ! J'allais tout simplement...

... Ralentir ?... Je sentais mes jambes s'alourdir au fil de ma course, me faisant perdre du terrain. Mais non ! Je vais gagner, oh ! C'est pas parce que je frôle la déshydratation que je dois ralentir, non mais ! Et pourtant, je remarquais du coin de l'oeil qu'Arabyss était à présent à ma hauteur, et que l'eau s'approchait dangereusement... Nous entrâmes finalement dans l'eau en même temps et je m'écrasai sur la surface, me laissant couler ensuite. Fermant les yeux, je laissais l'eau s'infiltrer dans mes branchies, glisser sur mes écailles et je sentais mes forces me revenir. J'étais encore un peu fébrile, mais ça passera...

- Je vais mourir... soufflai-je dans un faux râle d'agonie.

Au moins elle a retrouvé le sourire !

Ah aaaaaaaaaaaah !!!!! Il a pas gagné !!!! Sentant le sable frais dans mon dos, je rouvris les yeux pour regarder les jeux de lumière à la surface de l'eau au dessus de nous - on avait déjà pas mal avancé au large, et on était déjà à facile 5 bon mètres de profondeur. L'eau fraiche et salée qui coulait dans ma gorge en apaisait le feu, et je recouvrais peu à peu mes esprits - deux sprints en aussi peu de temps, c'était trop pour moi !! Tournant la tête vers Ilmaes, je constatais que ses cheveux commençaient à peine à s'éclaircir - il était moins endurant que moi à ce niveau là... il faudrait qu'il fasse plus attention quand même, si moi j'étais déjà limite de l'avoir cherché toute la matinée, lui devait vraiment être HS...

- Mais noooooon, répondis-je en esquissant un sourire. T'as pas gagné, ajoutais-je en lui tirant la langue.

Non mais, il y avait cru en plus je suis sûre !! Eh ben non, et toc !!

L'eau me fit un bien fou et je me laissais lentement couler, appréciant le frais de l'eau salée après notre sprint sous le soleil brûlant. Mes cheveux s'éclaircissaient peu à peu alors que je reprenais une respiration normale. J'aurais pas du faire cette course... Ca m'a tué, je repars plus après ça ! Rouvrant les yeux, je regardais le ciel bleu déformé par l'eau, avant de tirer la langue en réponse à Arabyss.

- Je te signale que t'as pas gagné non plus hein ! On est arrivés ex aequo ! répliquai-je en fronçant les sourcils.

Non mais oh, faut quand même pas qu'elle ait les chevilles qui gonflent ! J'étais pas au meilleur de ma forme, donc c'est pour ça qu'elle m'a rattrapé, rien d'autre ! Je nageais un peu pour me rapprocher de la surface, me rappelant les concours que nous faisions avec mes amis avant : nous nous lancions du fond de la mer pour prendre de l'élan, avant de crever la surface et monter le plus haut possible. C'est distrayant !

- Tu veux faire quoi ? demandai-je à Arabyss avec un petit sourire mélancolique aux souvenirs de mes jeux.

Mes cheveux avaient à présent recouvert leur teinte bleu-nuit si profonde, eux qui tiraient sur un bleu turquoise de plus en plus clair quelques instant plus tôt, et ceux d'ilmaes étaient à nouveau d'un blanc neigeux - mine de rien, un bon bain, c'était très agréable. Fronçant les sourcils, je ravalais cependant une réplique acide - mais il me cherche ma parole, il pouvait pas juste la boucler ??! Agacée, je soupirais franchement - c'est bien juste parce qu'il a vraiment une tête à faire peur... entre sa fatigue apparente et maintenant la nouvelle décoration que je lui avait offerte, il faisait à la fois plus vieux... et plus jeune, façon enfant battu... L'observant se rapprocher de la surface au-dessus de nous, je haussais les épaules à sa question, toujours étendue sur le sable blanc.

- Rien. Je suis juste... contente de t'avoir retrouvé... consentis-je à avouer en détournant la tête.

C'était bien pour me faire pardonner d'avoir été si violente et désagréable...

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Alors c'est ça bosser ?... Sérieux ?! (Privé)

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