" YAAAAAAAAAAAA ! "

Je riais toute seule en dévalant le versant sous le soleil levant, mes doigts enmelés dans le crain d'Eneth et mes cuisses serrées autour de ses flans. J'adorais cette impretion d'être parente avec le vent, de respirer mieux tout à coup. Eneth ralentit de lui même en approchant la rivière et je mit pied à terre dans la neige. Il se désaltéra, pour récupérer de son effort et je lui tapotai l'encolure, regardant les paysages blanc tout autour de moi et la légère fumée qui s'échappait de ses nasaux. Puis je détournai les yeux vers l'aube et dis plus pour moi même que pour Eneth :

" Il va falloir rentrer avant qu'ils ne sortent du lit, il vaudrait mieux hein mon beau ? "

Je me retournai brusquement en entendant le reproche qui m'était adressé. Mes parents, ainsi que mes frères se montraient beaucoup moins indulgents avec mes "excentricités" comme ils les appelaient et j'avais peur que l'un deux ne m'aie suivi pour me réprimander. Si cela arrivait un jour, il y aurait beaucoup de chances que je sois consignée en chambre sans pouvoir faire autre chose que de la lecture ou des travaux d'aiguille. Ce qui, clairement, pour moi, signifierait la mort ! Aussi je fus soulagée de voir devant moi le conteur que j'avais l'habitude de voir de passage dans mon village. Je lui souris largement, il ne se passait jamais rien ici et j’appréciais beaucoup ses visites au cours desquelles j’apprenais toujours de nombreuses choses sur le monde. Des choses que je n'avais jamais vu, dont je pouvais seulement entendre parler et que je rêvais de découvrir.

" Il n'est pas non plus fort convenable de poursuivre ainsi une jeune fille "

Lui répondis-je sur un air taquin, en me saisissant de la bride d'Eneth pour le faire remonter sur la bute, aux côté de son cheval.

Je laissai échapper un petit rire, il était vrai qu'il n'aurait eu aucune raison de me suivre, il avait très certainement mieux à faire.

"Le hasard fait bien les choses, j'étais peiné de ne pas vous avoir rencontré plus tôt."

" Oui ... croyez-moi j'étais également déçue de ne pas pouvoir venir à votre rencontre. Malheureusement mes parents semblent penser que vos histoires et votre savoir ne sont plus de mon âge "

Répondis-je tristement. Et ça ne faisait que commencer ... Ma mère multipliait les intrusions dans mon libre arbitre, allant jusqu'à demander à mes frères de me suivre pour lui rendre des comptes. Quant à mon père, il cèdait de plus en plus de terrain au reste de la famille et se montrait de moins en moins amusé et indulgent face à mon comportement. J'ignorais combien de temps encore il me restait avant d'être transformée en parfaite fille du chef de Laocan et tout les jours j'avais l'impression que l'étau se resserait un peu plus.

" Ils semblent avoir d'autres GRANDS projets pour moi que de m'instruire "

Ajoutais-je sur un ton ironique, levant légèrement les yeux au ciel.

Je remontai promptement en selle et une fois droite comme un I, je pointai un doigt accusateur vers le conteur, avec un air grave mais à moitié comique.

" Pensez-vous monsieur que la juste place d'une femme est dans son intérieur, qu'elle ne doit avoir ni curiosités ni responsabilités, que son instruction doit se limiter à celle d'une ménagère et qu'il doit toujours en être ainsi ? Parce que si telles sont vos pensées à vous aussi, vous êtes loin de l'homme sage que j'imaginais en vous. "

Je le toisai un petit moment, une lueur de malice dans les yeux, assez contente de ma tirade. J'avais si souvent envie de m'évader ces temps-ci, d'oublier les liens avec lesquels on essayait sans succès de m'attacher, ma famille contre qui je n'avais plus envie de me battre. Cette visite me faisait beaucoup de bien, un peu comme un arrêt de jeu, une pause, une récréation. Je le contournai légèrement pour placer Eneth devant son cheval tout en continuant de le toiser et ... partit brusquement à toute allure, en longeant la rivière. J'éclatai de rire et me retournai légèrement la tête pour voir s'il nous suivait, comme un chat qui voudrait jouer avec son maître ... mais à cheval.

Je fus surprise de voir Eneth ralentir spontanément et finir par s'arrêter. Il en fallait d'ordinaire beaucoup plus pour le fatiguer et il était encore moins capricieux, ce n'était pas une de ces monture qui vont où bon leur semble, faisant totalement abstraction du cavalier. Évidemment j'avais passer de longues heures à le dresser et il n'en avait pas toujours été ainsi, Eneth avait un caractère plus que consistent. Je scrutai ses yeux, tellement semblables aux miens, le regard interrogateur. Avant de me retourner vers le conteur qui m'avait rattrapée. Je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il y était pour quelque chose, il y avait un truc chez cet homme, quelque chose d’intrigant, d'étrange, comme ... irréel.

" Hé bien monsieur le conteur, je vous pensais meilleur cavalier "

Dis-je avec un sourire avant de détourner les yeux vers le soleil qui avait déjà bien avancé dans son ascension. Je fronçai légèrement les sourcils, la récréation était finie pour moi, il valait mieux que je ne tarde pas à rentrer.

" Je suis navrée mais je vais devoir rentrer, puis-je vous proposer que nous retournions jusqu'au village ensemble ? "

Un peu déçue de ne pas pouvoir rester plus longtemps en sa compagnie, je lui sourit tout de même chaleureusement en pensant que cet homme avait animé mon enfance avec toutes ses histoires et que je les garderai encore longtemps en mémoire pour en rêver.

" Je suis aussi heureuse de notre rencontre et j'espère que nous nous recroiserons bientôt. Peut être qu'à votre prochaine visite à Laocan nous aurons plus de temps pour discuter du monde ... Au revoir ! "

Eneth s'élança vers le haut du versant et le village, tandis que lui je faisait un dernier signe de la main.